Série de katas fastidieux...

[Premier post]

L'avantage de n'être que huit disciples dans un dôjô, c'était le fait d'avoir suffisamment d'espace pour pratiquer les katas commandés par le maître sans pour autant être pressés les uns contre les autres comme des grain de riz dans un bol...

Là, il y avait toute la place nécessaire pour des mouvements amples et naturels.
Exercer tsuki... ou, pour les non-initiés, frapper à la gorge, était l'exercice du moment.
Se mettre en garde, avancer le pied, frapper. Se mettre en garde, avancer le pied frapper.

Le maître en face de lui avait l'air satisfait de ses mouvements, tant mieux parce qu'il se donnait à fond.
Et là, le sensei en chef annonça la pause.

Coupé dans son kata en plein milieu de son exécution, Uesugi se sentit légèrement frustré... néanmoins, il salua le maître qui avait bien voulu partager ses katas avec lui et alla ranger son boken avec les autres étudiants.
Parmi eux, trois étaient des cousins plus ou moins proches et avaient une discussion semble t'il assez animée.
Le sujet du jour? Le contenu du repas de Nagiza sensei...

Si Ryuichi-kun et Sanada-san affirmaient qu'il ne contiendrait que du sake, Yoshida-kun pensait qu'au contraire, sa femme avait du lui préparer un fabuleux bentô... bref... Uesugi à ce moment-là se sentit un peu seul... mais dans sa solitude intérieure, il perçut quand même qu'on lui demandait son avis puisque les trois paires d'yeux étaient à présent tournées vers lui.

"Euh.... et bien..." Il n'en savait rien lui...

[Premier post]

Tanaka coupa court à la réflexion des jeunes gens en se tenant derrière eux pour placer ses mains sur leurs épaules.

« Le repas de Nagiza-sensei ne regarde que lui – et peut-être bien sa femme – mais en aucun cas vous. Occupez-vous plutôt de ce que vous mangerez, vous. Qui sait ce qui peut arriver à vos plats pendant que vous vous occupez de ceux des autres ! »

Ceci fait, il s’éloigna d’eux et s’avança vers une autre partie du dojo
En chemin, il posa une main sur l’épaule d’Uesugi et lui sourit.

« Jolis katas. » Fit-il simplement avant de reprendre sa route, allant mettre un peu d’ordre également de l’autre côté de la grande salle.

Il n'était pas dans ses habitudes de féliciter ouvertement un élève. chacun avait droit de sa part à ce genre de petits gestes, plus discrets, plus gratifiants selon lui.

Désespéré de ne rien pouvoir répondre de cohérent à ses camarades, et sur le point de dire que finalement, ce que mangeait leur professeur ne les regardait pas et qu'il y avait beaucoup plus important à faire, comme s'entrainer par exemple -ce qui lui vaudrait sans aucun doute une triple salve orale comme quoi il était d'un ennui et d'un sérieux trop mortel pour être vrai-, il sursauta violemment en entendant la voix de Tanaka-dôno. Dès lors, son cerveau cessa de fonctionner.

Il se mit juste à boire les paroles du maître kenjutsu comme de l'eau fraîche un après-midi de canicule, acquiesçant à tout ce que le maître leur dit alors.

Puis, Tanaka-dôno le félicita en personne pour ses katas... c'en était trop vraiment, trop... il l'avait touché à l'épaule et avait sourit... il devait être en train de dormir et de rêver, il allait se réveiller avec cette certitude que c'était bien trop beau pour être vrai, qu'un sourire aussi lumineux de Tanaka-dôno ne pouvait pas lui être adressé à lui... mais il se pinça en le regardant partir et constata que non, ce n'était pas un rêve!
Et l'élève piqua un fard monstrueux, attirant les murmures amusés de ses cousins.

Une seconde, deux, puis trois passèrent avant qu'Uesugi ne reprenne ses esprits et ne secoue la tête violemment pour revenir à un état normal.
Non non, il ne l'avait pas félicité lui en particulier, il faisait ça avec tous les élèves du dôjo quand ils faisaient du bon travail, ce n'était pas seulement lui! Il fallait qu'il arrête de se faire des idées aussi ridicules enfin!

"Allons manger!" Proposa t'il aux trois autres avec un grand sourire.

Uesugi mangeait tranquillement les onigiri préparés par sa nourrice. Ce n'était pas grand chose, juste du riz et un peu de poisson, mais en cette période de disette, ça pouvait signifier beaucoup. Le jeune garçon soupira en pensant que beaucoup de gens n'avaient pas la même chance que lui et n'arrivaient pas à manger à leur faim. Ce soupir fut remarqué par ses condisciples qui secouèrent la tête d'un air las. Depuis qu'ils connaissaient le futur héritier de la famille dirigeante, il avait toujours été ainsi, soupirant pour un rien, la plupart du temps, on ne savait pas pourquoi. Il avait l'air gai l'espace d'une seconde, et la seconde suivant, il était triste, sans le moindre indice de ce qui pouvait provoquer cette tristesse.

Soudain, le jeune étudiant releva la tête et se mit à rougir très légèrement. Il avait senti la présence de leur professeur dans son dos, en train de s'approcher, puis, finalement, venir s'asseoir parmi eux. Uesugi n'avait plus l'impression d'avoir faim alors qu'il n'avait avalé qu'une seule boulette de riz... raison pour laquelle il laissa les deux autres dans leur emballage d'algue et de tissu.

Hésitant, l'étudiant cacha ses mains dans les manches de son haori et sourit doucement, regardant Tanaka-dôno déjeuner avec eux.

"Tu n'as plus faim Ue?" Demanda un de ses cousins en fixant son repas à peine entamé.

Ce dernier secoua doucement la tête.

Tanaka-dono parlait peu mais écoutait beaucoup, surtout quand ça concernait ses élèves. Tout en mangeant, il se tenait donc au courant des derniers potins. Ainsi il apprit que Hanamaru Taro avait demandé la main de Takashima Lili mais que le père de celui refusait ce jeune garçon comme époux. Il se dit qu’il irait peut-être bien parler à ce père plus tard, Hanamaru était un jeune homme tout ce qu’il y avait de bien. Un peu maladroit et d’une famille pauvre mais doué au combat. En ces temps de guerre, c’était une qualité vraiment non négligeable.

Il grignota encore un peu avant d’entendre la question posée à Uesugi. Allons bon, qu’est-ce qu’il avait encore celui-la…

« Tu devrais manger, ne gâche pas de la nourriture par des temps pareils. » Lui fit-il sur un ton paternel.

Mais son visage se radoucit rapidement et il sourit en ajoutant :

« A moins que tu n’aies besoin d’une petite rasade de sake pour faire passer tout ça ! »

Il leva sa propre coupelle pour témoigner de sa volonté de partager si Uesugi le voulait.

Uesugi sursauta quand Tanaka dono lui adressait la parole... directement, il baissa le nez en direction du sol, rougissant comme un enfant pris en faute... mais il n'avait vraiment plus faim! Qu'y pouvait-il? La goutte qui fit déborder le vase fut quand le professeur lui proposa de boire du sake car, sans qu'il n'en connaisse la véritable raison, cette boisson -ou toute autre boisson alcoolisée- lui était strictement interdite par son grand père et le reste de la famille principale... il secoua donc vivement la tête.

"Je... non merci Tanaka dono, il m'est interdit de boire de l'alcool... et puis je suis encore mineur..."

Tant de sérieux déconcerta ses voisins, dont l'un d'eux lui donna une grande tape dans le dos pour le faire revenir à la réalité...

"Allez Ue, fais pas cette tête, personne ici n'ira te dénoncer tu sais!" S'exclama un de ses cousins -qui n'habitait pas la maison principale et n'était donc pas au courant du pourquoi de l'interdiction-, bientôt approuvé par les autres...

Uesugi releva alors la tête, rouge de confusion -il fallait s'y attendre- et regarda la coupe de son professeur d'un air inquiet. Il ne savait pas s'il devait accepter ou refuser une dernière fois, au risque de vexer les personnes autour. Le garçon était d'un naturel généralement obéissant, et, souvent, la moindre incartade le faisait se sentir si mal qu'il évitait d'en faire ne serait-ce qu'une par an... néanmoins, pour une raison qu'il n'identifiait pas, il se sentait heureux que Tanaka dono lui accorde de l'attention et lui propose de boire avec lui... il croyait avoir lu quelque part que ça se faisait principalement entre amis ou entre guerriers et que c'était une marque de respect... et il respectait énormément son professeur, alors, après une dernière hésitation, marquée par un bref mordillement de lèvre inférieure, il finit tout de même par hocher de la tête et accepter...

(muehehehehe garez-vous, evil Uesugi va débarquer XD)

Tanaka eut un énorme sourire quand le gamin accepta. Il était si rare de le voir se détendre un peu comme ça ! Il lui mit donc sa cruche entre les mains et l’enjoignit à en boire une gorgée.

« Vas-y petit, te gène pas ! »

Il ne l’avait jamais vu boire, ce qui l’étonnait quand même grandement. La plupart des élèves du dojo avait déjà connu des soirées un peu trop arrosées mais Uesugi était soit absent, soit refusait tout net la moindre goutte d’alcool. Celui-ci avait-il déjà été assez saoul pour avoir fait quelque chose qui lui fasse honte qu’il ne veuille plus jamais l’être ?
Cela intriguait Tanaka-dono, il avait lui-même parfois été trop loin et il se demandait comment Uesugi avait l’alcool. Triste ? Joyeux ? Amoureux ? Malade ? Il espérait pour le jeune homme que ce n’étais pas la dernière solution…
Mais ça, il le saurait peut-être bientôt…

Uesugi se leva lentement, ramassant son boken et celui de son voisin, silencieux. Son regard avait tout de celui d'une vipère, froid et dangereux. D'un geste sec il mit de sabre en bois de son voisin sous le nez de celui qui l'avait fait boire, d'un air qui signifiait clairement qu'il n'accepterait aucun refus de sa part...

Autour d'eux, les autres élèves étaient silencieux, estomaqués.
A peine l'élève eut-il son boken en main qu'Uesugi l'attaqua, le repoussant violemment sur un bon mètre vers les tatamis, attirant l'attention des autres professeurs à l'extérieur qui ouvrirent directement la porte en papier pour voir ce qu'il se passait, sans pour autant détourner l'attention des jeunes hommes.

Le descendant des kitsune fronça les sourcils en voyant le peu de volonté que l'autre mettait à se battre contre lui alors qu'il était sérieux... il n'eut dès lors plus qu'une seule envie: le tuer. Et il se jeta sur lui à nouveau, dans la ferme intention de lui faire du mal, frappant fort et vite, à une vitesse que Uesugi ne se serait même pas cru capable d'atteindre quand il était sobre...

Un coup paré, deux coups parés, le troisième coup, ichimonji*, quatrième coup, gyaku kesa giri*².
L'élève recula en se tenant la mâchoire inférieure, ayant reçu un coup plutôt violent la quatrième fois, tandis qu'Uesugi le foudroyait du regard en se replaçant... finalement, l'élève saoul jeta son boken à terre, furieux.

"Faible."

*coupe latérale au niveau du ventre
*² coupe diagonale de bas en haut

Le combat était réellement intéressant...
Uesugi n'était plus le même : ses coups étaient vifs, froids, faits pour blesser et tuer. Tanaka se leva au troisième coup, prêt à parer si son élève désirait vraiment tuer son adversaire. Il était pour les combats sérieux mais pas pour la mort d'un des leurs.
Heureusement, Uesugi laissa tomber son boken. Mais ses mots durent frapper encore plus durement son adversaire que ses coups. Sa voix trancha comme un couperet, un seul mot qui du briser peut-être à jamais la confiance en soi du jeune élève.

Tanaka ferma les yeux et prit un instant de réflexion mais ce moment était peut-être un des seuls où il pourrait tester ainsi son meilleur élève. Il prit son boken à la main et s'avança jusque devant Uesugi. Il prit une pose de combat et le regarda droit dans les yeux.

"Uesugi-san... Battons-nous."

Un flot d'adrénaline envahit déjà ses veines à l'idée de se battre contre cet Uesugi si différent. C'était semblable à chaque combat qu'il avait vécu mais quelque peu différent quand même... Uesugi était Uesugi et il n'aurait jamais cru voir une telle expression dans ses yeux clairs. Et c'était cela qui rendait l'idée de ce combat encore plus excitante.

Uesugi lança un regard méprisant à l'autre élève, tout autant, peut-être même plus encore, que le mot qu'il avait prononcé avec hargne et dédain. Le jeune homme, qui se tenait la mâchoire, avait baissé les yeux et serrait le poing sur son boken à s'en faire blanchir les jointures de ses mains. Il tremblait. De frustration peut-être. Et l'orphelin laissa un sourire cruel relever les coins de ses lèvres. Oh que c'était facile pour Yamigumo de persécuter le pays avec un niveau pareil!

Puis leur maître se plaça entre eux et le mit au défi. Lui. Rendu fou par l'alcool, le jeune homme darda son regard dans celui de Tanaka-dono et apprécia ce qu'il y vit. De la combattivité, de la vraie. Enfin! Cet homme, qui le considérait toujours comme un bébé alors qu'il le désirait de toute son âme depuis deux ans... enfin il le prenait au sérieux! Juste ce qu'il lui fallait pour oublier l'échec ambulant qu'il venait de combattre. L'élève ramassa donc son boken, d'un geste lent et exagérément langoureux qui aurait pu paraitre totalement obscène aux yeux des spectateurs de la scène.

*Regardez-moi donc danser Tanaka-dono*

La danse du sabre, la danse de la mort et de la violence. Plus ses coups étaient parés et repoussés, plus le désir montait en Uesugi. Un désir brûlant et totalement absurde. Le désir de faire saigner Tanaka pour mieux lécher ses blessures comme un chien venant de mordre malencontreusement son maître. Et puis... peut-être... le dévorer à coups de dents?

Plus rien n'existait à l'extérieur des tatamis. Plus de professeurs, plus d'élèves, plus de clan du renard, plus de monde non plus. La danse de Tanaka et Uesugi était devenu un monde à part des autres dans lequel plus rien n'avait d'importance ni même d'existence si ce n'est le bruit des sabres en bois qui s'entrechoquent, la gravité de leurs corps attirés comme des aimants, la chaleur qui envahissait le corps d'Uesugi, naissant de ses reins et en ressortant par les yeux. Un regard de braise, un regard fou...